D. Vinck: Métiers de l’ombre de la Fête des vignerons

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Titel
Métiers de l’ombre de la Fête des vignerons.


Autor(en)
Vinck, Dominique
Erschienen
Lausanne 2019: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
358 p.
von
Gilbert Coutaz

La Fête des Vignerons est une célébration pluriséculaire dont le cœur est un spectacle présenté avec un intervalle de temps d’une vingtaine d’années. Elle a suscité des publications en nombre, le plus souvent des ouvrages photographiques, commémoratifs et historiques. C’est le côté cour de la Fête.

Au lieu de porter son attention sur le moment de la Fête ou sur ses effets, Dominique Vinck se penche sur sa conception et sa préparation. En rompant avec la pratique éditoriale et l’angle usuel d’approche, il a bravé le scepticisme de ses interlocuteurs universitaires. Certes le thème de la fête a sa légitimité pour les sciences sociales et ses interprétations sociologiques et anthropologiques. Mais de là, à s’emparer de la Fête… de ses tâtonnements et des contacts infructueux qu’il raconte dans son introduction, l’auteur débouche sur une formulation qu’agréent l’abbé-président et les directeurs artistique et exécutif, en subordonnant leur accord à la discrétion. Il doit éviter de casser la Fête. C’est le côté jardin.

Au centre de la scène, une vue des coulisses. Il entend documenter les phases de préparation, les conteus et le rôle des métiers de l’ombre de la Fête. Aider à comprendre l’implication des personnes dans cette préparation. Contribuer à conserver la mémoire de cette grande et complexe aventure collective, fondée sur une foultitude de personnes et une diversité insoupçonnée de métiers, en produisant des données et des analyses portant sur une partie invisible.

L’hypothèse de travail : la Fête se fabrique, elle n’est pas le résultat d’une effervescence spontanée. Il s’agit de rendre compte du travail engagé pour « faire la Fête », car « faire la Fête », c’est du travail.

Les choix : documenter le temps long de la préparation (en fait plusieurs années) ; s’interrompre au moment de la production et de l’exécution, d’une durée de quelques mois, en conséquence ne rien rapporter du spectacle et du démontage. Suivre la mise en place de tous les éléments conceptuels, organisationnels, matériels, techniques et humains qui permettent à la Fête de se dérouler ; s’attarder sur la dynamique et la motivation de l’engagement.

Les contraintes : rendre compte de la simultanéité et de l’enchevêtrement des activités dans la linéarité du texte ; recourir au langage épicène pour refléter la présence forte des femmes ; jouer sur le temps des verbes : le présent pour « le déroulement de l’action », le futur « pour ce qui ne s’était pas encore produit » et le conditionnel « pour ce qui n’est pas certain ou laissé dans le suspens ».

L’étude est divisée en sept chapitres, d’inégale longueur – le cinquième « Des défis pour la Fête : création artistique et innovation technologique » occupe près de la moitié du livre.

Elle débute de manière décalée et périphérique par l’évocation du verre à vin, tout à la fois élément de souvenir, « madeleine », preuve que son détenteur a été de la Fête ou a une relation avec elle. Il est présent dans les archives de la Fête depuis 1905. Sa fabrication exige de nombreuses microactivités, une chaîne de compétences et de solidarités, des décisions stratégiques et soupesées, pour le faire émerger et en assurer la diffusion graphique sur toutes sortes de supports.

Les éditions de la Fête des Vignerons de 1797 à 1977 et de 1999 sont commentées dans les chapitres 2 et 3. La Fête de 1999 offre un point de comparaison utile à la compréhension de celle de 2019 ; car elle renseigne sur toutes les étapes du processus.

La mise en perspective situe les continuités et les enrichissements de la Fête, son adaptabilité et l’extension de l’événement. Elle situe les combinaisons changeantes des aspects théâtraux, chantés, musicaux et scéniques. Entre 1797 et 1905, la Fête a passé de 2000 à 60 000 spectateurs, de 200 à 1800 acteurs-figurants. Jusqu’à la Fête des Vignerons de 1927, la préparation se faisait en moins d’un an. Pour cause de guerre et de reconstruction, celle de 1955 s’est étalée sur onze ans. Depuis, les longs préparatifs sont devenus la règle. À chaque édition, surtout pour les dernières, on en vient à douter qu’une nouvelle puisse être organisée.

Les chapitres 4, 5 et 6 rendent compte de la préparation de la Fête de 2019, la douzième du genre, des défis artistiques et techniques à relever, des grandes problématiques à solutionner. On commence à s’interroger sur sa date dès 2007. Quelques frémissements sont relevés en 2010. Dès 2011, la Confrérie des Vignerons se met en mouvement. Sont installés progressivement les commissions permanentes, une commission préparatoire, un conseil stratégique, un directeur artistique, un directeur exécutif, l’équipe de création. La communauté des métiers se construit en même temps que la Fête s’échafaude. Elle ne préexiste pas, elle se constitue au fil des besoins. Les premiers accords sont pris, on évalue la faisabilité du projet, on budgétise les coûts, on procède à la réservation de nombreux locaux pour recevoir les entraînements et les essayages. La logistique et la communication prennent leurs aises. Les défis ne manquent pas : « tradition et innovation dans la création artistique » ; « briser les codes sans casser les attaches » ; « collecter et créer des sons et des musiques ». Les organigrammes se font et se défont aussi rapidement. Les membres des sous-commissions « Infrastructures et constructions » empoignent les dossiers les uns après les autres, à une vitesse incroyable, les services de la Ville de Vevey sont mobilisés. Les équipementiers sont requis pour amplifier et équilibrer la sonorisation, conjuguer « qualité acoustique et confort visuel », capter l’intensité et l’intelligibilité de la parole. Il faut encore maîtriser et moduler l’éclairage du spectacle, le jour et la nuit, en évitant d’en faire deux spectacles différents, ce qui ne va pas sans interroger toute la dimension scénique. Le choix des emplacements des caméras et le recours aux grands écrans doivent provoquer de l’émotion.

« Des métiers et des gens derrière chaque détail », des intrications fortes entre le projet artistique et la réalisation technique, les souhaits de la Confrérie et les attentes du public, l’héritage et la modernité, les lectures plurielles de la Fête. On sent partout l’envie de la réussite, la préoccupation de réunir les savoirs et les réseaux, le souci de surmonter les obstacles, l’intérêt de dépasser les controverses et les frictions. « Explorer, expérimenter, bricoler et innover », pourvu que la Fête soit belle !

Il n’est pas étonnant que la montée en puissance et en clarification du projet trouve sa concrétisation dans « Une mobilisation générale », relatée dans le chapitre 6. Il s’agit de recruter et d’exercer 5400 acteurs-figurants, parmi lesquels les gymnastes et les acrobates, les chanteurs·euses, les musicien·ne·s, le collectif pour le Ranz des vaches. Il faut constituer et répartir les troupes et les groupes ; des petites mains se chargent de leur habillement (25 000 pièces). Couturiers et couturières conçoivent, prennent les mesures, effectuent les essais et les retouches.

La Fête se répand hors de l’arène. C’est aussi la « Ville en Fête » (titre du chapitre 7), avec ses cortèges, ses animations, la restauration et son million estimé de visiteurs citadins et ruraux, venus de partout en Suisse. Pour y faire face, toutes sortes de professions assurent l’infrastructure, la sécurité, la convivialité, la population entière est sollicitée, elle ajoute sa touche personnelle. Des lieux d’accueil sont prévus pour déguster les produits régionaux et partager des moments d’amitié. Les parcours sont balisés pour le déroulement des cortèges et la réception des cantons que la Fête rappelle par la présence du corps des Cent-Suisses. La ville est pavoisée des drapeaux cantonaux. Le chef du protocole croise le pompier de faction, le vétérinaire doit pouvoir diagnostiquer sans retard, les 5000 journalistes attendus sont pris en charge.

Classée au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, la Fête n’a lieu qu’une fois chaque vingt-cinq ans. Elle est ancrée dans la glorification de la terre, de la patrie et du travail ancestral dans la campagne et dans la vigne. Chaque édition est un marqueur temporel et familial. Entre-temps, le monde, les goûts et les aspirations du public ont changé. Le fait qu’elle mobilise des membres de mêmes familles sur plusieurs générations et que son souvenir se transmette sur plusieurs décennies oblige la Fête à se démarquer de la dernière. « Elle est une histoire différente. Ce n’est ni la religion, ni l’État, ni les affaires, qui en sont le moteur, mais une sorte de défi générationnel de faire mieux que les parents » (p. 107).

Si l’auteur intitule sa conclusion « Les métiers de l’ombre font la Fête », c’est qu’au-delà de donner de la visibilité à des activités dont l’ampleur, la variété, l’épaisseur et le mélange surprennent, il souligne la qualité et l’intensité du don personnel « colossal » de chaque agent·e sans quoi la Fête ne serait pas ce qu’elle est et le succès ne serait pas garanti. Il confesse, malgré les 358 pages denses, servies par une mise en page soignée et colorée, avoir délaissé de nombreux aspects méconnus de la Fête dont il dresse la liste. En fait, le sujet reste ouvert à de nouveaux développements, une manière pour l’auteur de revenir dans la Fête, porteur d’autres regards, et de jalonner le parcours de la future Fête par la mise en exergue qu’une édition, aussi étincelante soit-elle, ne peut se passer des apports des métiers de l’ombre. Ainsi va la Fête.

Zitierweise:
Coutaz, Gilbert: Rezension zu: Vinck, Dominique: Métiers de l’ombre de la Fête des vignerons, Lausanne : Antipodes, 2019. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 218-220.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 218-220.

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